31/07/2025 investigaction.net  9min #285833

 Georges Abdallah est libéré !

« Je suis resté debout », Georges Ibrahim Abdallah se confie après sa libération

Pierre Barbancey

Georges Ibrahim Abdallah, donne une conférence de presse à son arrivée dans son village de Kobayat, dans la région du Akkar, au nord du Liban (AFP)

Georges Ibrahim Abdallah a accordé un entretien exclusif à l'Humanité, dans son village de Kobayat, qu'il vient de retrouver. Il revient sur ces quarante ans de prison en France et réaffirme son engagement de militant révolutionnaire en faveur de la Palestine.

Georges Ibrahim Abdallah a un sourire éclatant. À 74 ans, il est fatigué, mais heureux d'avoir enfin retrouvé sa famille et son pays après plus de  quarante ans passés dans une prison française. L'homme est debout politiquement. Il n'a pas été brisé. Il nous a reçus en exclusivité.

Georges Ibrahim Abdallah, vous êtes enfin libre après quarante ans d'emprisonnement en France. Comment vous sentez-vous ?

Je suis submergé par toute cette chaleur humaine et cette chaleur de lutte qui m'entourent en ce moment. La situation au Liban m'apparaît moins mauvaise, si l'on peut dire, que ce que je pensais. J'ai immédiatement senti une force vive du pays, qui n'a pas disparu.

Elle laisse espérer une continuation de la lutte et de la résistance. Surtout, je crois que la « somalisation » ou la « balkanisation » du Liban est écartée.

Qu'avez-vous ressenti à votre arrivée ici, au Liban, dans votre famille ?

Il est difficile de décrire mon émotion. J'ai été agréablement surpris. Les différentes forces politiques libanaises étaient présentes. Mais, surtout, il y a eu des scènes incroyables. Des hommes, des femmes, et des jeunes que je n'ai jamais vus sont entrés dans l'avion pour m'embrasser. J'ai immédiatement retrouvé le Liban.

Ça m'a fait vraiment chaud au cœur. Quand je suis sorti de l'avion, l'accueil a été stupéfiant : le commandant en chef des forces de sécurité m'a pris dans ses bras, des policiers m'ont aidé à descendre l'escalier. Ils ont tout fait pour me protéger au cas où quelqu'un se serait infiltré dans la foule. L'ambiance était indescriptible. C'est une scène inoubliable pour le militant que je suis.

Comment avez-vous vécu ces quatre décennies passées en prison ?

Durant toutes ces années, je me suis inscrit dans la dynamique des luttes qui se déroulaient à l'extérieur. J'ai eu la chance d'être en relation avec des hommes et des femmes solidaires de ma situation, qui se sont battus pour que je sorte de prison. Ils sont parvenus à inscrire ce combat dans celui de la libération de la Palestine et contre  le génocide à Gaza.

C'est grâce à cela que je peux m'exprimer en tant que militant et pas seulement en tant que prisonnier. Autrement dit, je suis un militant qui lutte dans une condition particulière, celle de l'enfermement. J'étais donc le même homme, mais dans un environnement différent. Aujourd'hui, ces conditions ont encore changé puisque je ne suis plus en prison.

Je suis un militant depuis ma prime jeunesse. Il y a un continuum existentiel qui a commencé à l'adolescence et s'est poursuivi jusqu'à aujourd'hui. On trouve beaucoup de militants. Certains sont en vie, d'autres sont morts. Mais ils m'habitent. L'ensemble de ces camarades sont des nuances d'un tableau, en quelque sorte, de mon berceau familial jusqu'à maintenant. Ce continuum est une dynamique qui me permet de m'inscrire, après la prison, dans la lutte, avec la même ferveur qu'auparavant. C'est là que s'est construit ce rapport avec les hommes et les femmes qui constituent mon cadre global existentiel.

Aujourd'hui, comme hier, je ne suis pas un militant qui se sacrifie.  Je ne me sacrifiais pas en prison, je me réalisais. Quand on est dans l'enfermement, les conditions de lutte - qui sont aussi une forme de réalisation de soi - sont un peu plus compliquées. C'est grâce à ces milliers d'hommes et de femmes qui m'ont accompagné que je suis ce que je suis aujourd'hui. Je crois que je suis resté debout et je le resterai grâce à ce continuum.


Georges Ibrahim Abdallah est accueilli par des sympathisants à son arrivée devant l'aéroport international de Beyrouth le 25 juillet 2025 (AFP)

Comment vous teniez-vous informé de ce qui se passait à l'extérieur ?

Ces camarades que je viens d'évoquer m'assuraient tout, des visites jusqu'au courrier qui n'était pas un courrier normal. Pendant trente-cinq ans, j'ai reçu cinq dossiers par semaine consacrés au monde arabe et à la Palestine. Chacun faisait de 80 à 90 pages et contenait des analyses percutantes qui me permettaient d'être au courant de la situation au Liban, en Palestine ou au niveau international. Je faisais alors des déclarations qui s'inscrivaient dans la mobilisation des camarades contre la fascisation des sociétés, pour la Palestine et, jusqu'au 25 juillet, pour ma libération. Je considère que c'était ma tâche.

C'est dans cette dynamique globale que je me sens dans mon élément en tant que militant qui, encore une fois, lutte dans des conditions particulières. C'est la grande différence avec le prisonnier qui se sacrifie. Ce dernier ne peut pas tenir tout ce temps. Ce n'est possible qu'en tant que prisonnier politique révolutionnaire qui continue de résister.

Quel regard portez-vous sur la justice française qui vous a maintenu enfermé aussi longtemps ?

La bourgeoisie française et sa justice ne sont pas différentes des autres justices de n'importe quel autre pays. Face à un militant révolutionnaire, soit elles parviennent à le mettre à genoux, soit elles le maintiennent en prison. Elles ne le libèrent que lorsque le rapport de force change. C'est-à-dire lorsque la bourgeoisie se rend compte que le coût de la détention du militant commence à être plus élevé que les potentiels dégâts que pourrait provoquer sa libération. Les visites au parloir  des députés communistes et insoumis ont aussi aidé à changer le rapport de force.

Quand il s'agit des intérêts de l'État, la séquence judiciaire n'est en réalité qu'une couverture, qu'un cérémonial. Les raisons de la libération du prisonnier se trouvent ailleurs. Ce n'est pas une spécificité française.

Bien sûr, il y a eu des pressions américaines. Mais la question essentielle est le rapport à la lutte. Preuve en est l'attitude du procureur qui se pourvoit  en cassation après la décision de me libérer. Son appel n'est pas suspensif. Autrement dit, il le fait pour la forme, pour dire aux Américains qu'il suit le dossier jusqu'au bout.

Mais il sait qu'une fois que je suis ici, au Liban, il ne peut plus rien faire. Cela montre aussi que certains juges ont de la personnalité. Cela aurait pu se passer autrement. La magistrate qui a émis le premier jugement a été on ne peut plus claire. Elle a dit en substance : « Abdallah perturbe l'ordre public en prison, beaucoup plus que s'il était dehors, c'est pour ça que j'ordonne sa libération. » Cela met un terme au cérémonial judiciaire. C'est aussi simple que ça.

Comment poursuivez-vous votre combat pour la Palestine ?

La résistance en Palestine doit s'intensifier. Il est honteux du point de vue de l'Histoire que les Arabes restent spectateurs face à la souffrance du peuple à Gaza.  Greta Thunberg, originaire de Suède, a pris un bateau pour briser le blocus imposé par les Israéliens à Gaza, pour essayer de livrer de la nourriture.

Et il y a 80 millions d'Égyptiens qui ne peuvent pas s'approcher de la frontière parce qu'on leur a interdit. Au Liban, il faut continuer à lutter contre l'ennemi et à être solidaires de la résistance. Dans les circonstances difficiles que traverse le pays, nous devons rester unis.

Craignez-vous pour votre vie ?

Notre peuple est assassiné chaque jour. Quotidiennement, il y a plus d'une centaine de martyrs en Palestine. Ma vie ne vaut pas plus que celle des enfants de Gaza qui meurent de faim et sous les bombes israéliennes.

Que dites-vous aux jeunes de 20 ans aujourd'hui ?

Qu'ils doivent s'impliquer dans les luttes, surtout s'ils sont en France. Le processus de fascisation est en cours. Ce n'est pas une petite affaire. Il s'insinue partout y compris dans les lois. Si la jeunesse refuse d'aller voter, c'est parce qu'elle est dégoûtée de ces dirigeants politiques. Si la jeunesse, les prolétaires, les masses populaires, les déclassés, les précaires ne s'organisent pas, la fascisation va devenir la norme.

On le voit avec  Retailleau et avec Darmanin, ex-ministre de l'Intérieur devenu ministre de la Justice. Il veut  construire des super-prisons. Il veut recréer les quartiers de haute sécurité (QHS). C'est le signe de ce que ces gens sont prêts à faire. Voilà les perspectives de la bourgeoisie. C'est très dangereux. Quand on constate ce type d'attaques, ce n'est pas en faisant des courbettes qu'on fera face.

Aujourd'hui, en France, l'État abandonne toutes ses prérogatives, qu'il s'agisse de la sécurité, de l'éducation, de l'écologie... La fascisation va poser des problèmes à celles et ceux qui luttent car elle finira par envahir tous les aspects de la vie et à tous les niveaux. Les communes ont leur propre police, qui elle-même aura ses propres milices, qu'on appelle les vigilants. Ceux-là vont surveiller les étrangers.

La tâche de la jeunesse est d'avoir le courage de l'affronter. Dans ce contexte, votre journal, l'Humanité, doit rester fidèle à son histoire, être le porte-parole des masses populaires, de ceux et celles qui luttent.

Source :  l'Humanité

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